A perdu son vocabulaire

Les premiers mots sont toujours les plus difficiles. C’est l’incertitude, le saut dans le vide, la chute libre. Autour, le souffle en suspens, on ignore encore s’il s’agit d’une pièce spectaculaire ou d’un suicide sur la place publique. Il est 21:49, cela fait dix minutes que je torture trois bouts de phrases. Je pense que l’on peut libérer l’air des poumons et soit crier, soit détourner le regard. Pas les deux en même temps. Non. La nature humaine aime trop le drame pour s’empêcher de regarder; alors aussi horrible et insoutenable soit la scène, on criera en regardant, puis on regarda ailleurs en se disant « c’est affreux ».

21:55 – Je m’éclaire à la bougie comme si cela allait transformer mon clavier en parchemin et mes touches en plume et encrier. Je ferais à cette heure-ci n’importe quoi pour rendre le moment romantique et douceur. Mais mes pieds gelés n’ont qu’eux même pour se réchauffer; ils ont au moins la chance d’être deux et de pouvoir se caresser. Oui voilà, c’est un peu à cela que cela ressemble d’être moi à  22:00 un lundi soir, au bord du suicide littéraire. Je devrais penser à scotcher autour des panneaux électriques et des arrêts de bus des affiches sur lesquelles on lirait : «  A perdu son vocabulaire et son style, récompense à quiconque les retrouve et les ramène » avec une adresse poste restante en dessous.

Quand les mots justes ne viennent pas, le sentiment de solitude grandit, vite, trop vite. L’ordinateur deviendrait presque un ennemi que l’on ferait n’importe quoi pour séduire pour qu’enfin il nous dise ce que l’on a envie d’entendre – comme le ferait un ami malhonnête ou pris de pitié. Mais non, Mac est un ami, un vrai, il ne ment jamais. Il est passif, patient, muet, juste, physiquement handicapé (la tendresse ne fait pas partie du tempérament de snow leopard). Mais mon Mac a le cerveau qui fonctionne à toute heure – en soutien du mien qui s’égare en rêveries un peu plus chaque minutes.