Il parle un anglais avec un accent très fort. Il pourrait avoir trente ans, mais il en a quarante. Son corps sec se dessine en ondulations sous un t-shirt large dissimulant une force inattendue. Pendant que mon dos s’écroule en morceaux sous son poids et ses coudes, il demande : T’as t’elle dit que j’étais fort ? Je respire, je me concentre pour articuler une réponse qui ne s’étouffe pas dans la douleur, finalement je formule : Elle a dit que vous étiez bon.
Pendant que je me tords, qu’il me tord, je commande en silence à mon corps : Let go, release, tout va bien, everything is ok. Comme si mon for intérieur avait besoin d’être rassuré dans toutes les langues que je pratique.
Il me parle et je n’ai pas envie de répondre. Il finit par dire : Si je te parle, c’est pour te distraire de la douleur. La douleur je connais, alors je ne réponds pas non plus, simplement je me tords, il me tord.
Je respire fort parce que d’une façon ou d’une autre il faut que cela sorte. Puis vient le geste fatal, que je n’ai pas senti venir, qui me plie en d(i)eux, et là je pleurs. Je ne sanglote pas, je pleure en silence et mes yeux comme une fontaine qui s’écoule doucement, sans s’arrêter, et je n’écoute plus ce qu’il dit.
Pas même quand ses genoux dans mes omoplates font crier ma colonne, pas même à ce moment là je ne bronche.
Quand il a fini, quand il m’a finie, il a la gentillesse de me servir un thé. Ma seule pensée : Noah, ce n’est pas coréen n’est-ce pas… Noah… Je l’entends encore respirer, et sa respiration je l’ai comprise mieux que ses mots mal articulés ; moi venue à lui désarticulée. Ironie de l’abysse.