Elle m’approche alors que je viens de me réfugier dans un coin après une heure d’effort pour socialiser. Son rouge à lèvre tire sur le orange, il y a quelque chose chez elle que je perçois et que je ne comprends pas. Elle me questionne, ce que je fais là, si je travaille, pour qui, d’où je viens. Elle a habité à Paris quand elle avait mon âge. Elle dansait au Lido et au Moulin Rouge, était payée au lance-pierre, vivait sous les toits dans un vieil attique – il y faisait froid, elle s’en rappelle comme si c’était hier. C’était il y a trente ans.

Elle soutient la cause de cette femme qui se bat pour la protection des vaches. Elle me demande si ça m’intéresse. Non. Elle me vend le concept, combien les entreprises engagées pour cette cause bénéficient d’une meilleure image. Deuxième non. Je m’attends à ce qu’elle s’en aille. Elle ne part pas. Alors c’est mon tour : d’ou venez vous, que faites vous, pourquoi est-ce que vous me parlez. Je la mitraille, pas sans tact, mais sans délicatesse pour autant.

On a abandonné les vaches et la voilà qui m’explique qu’elle aide les gens à changer, elle leur apprend résilience et résistance. Elle répète ces deux mots deux fois – je ne bronche pas, pour autant là encore je ne comprends pas. Elle est passionnée par les centenaires et s’intéresse à percer leur mystère. Somme toute, elle ne fait pas du tout son âge donc j’en conclus qu’elle a dû trouver quelque chose, quelque part.

Elle me révèle avoir été mariée deux fois et une troisième à une femme que je soupçonne être la protectrice des vaches qui nous a pondu un discours une heure plus tôt sur lequel j’ai eu envie de vomir. Je m’abstiens et lance une plaisanterie sur les français à son époque parisienne. Elle répond avec malice, qu’on couche avec les hommes français mais ça s’arrête là. On s’entend sur ce point et ça nous fait rire. Elle garde son accent british pour me dire : « You sleep with the good looking guy and you marry the kind one. You marry the kind one. You marry the kind one ».

Là je sais qu’elle est sérieuse. Elle a le regard qui s’égard. Elle est là sans être là, elle te parle sans te parler, comme si ce n’est même plus elle qui te parle. Elle est dans ce vague flou qui me rappelle Colleen d’Hamilton.

Finalement, Elle, cet homme devenu femme, dira trois choses bien distinctes .
La première : « Create a new life everyday ».
La seconde : « We only have one life ».
La troisième : « Have fun ».

J’ai décidé de n’en garder que deux.