La carte à épiler

Elle va et vient dans un studio qui ressemble au sac à main de Mary Poppins, essayant de ne rien oublier. Dans la petite trousse il y a tout un nécessaire « d’en cas de besoin » qui presque jamais ne sert. Dedans on y trouve un mascara japonais, un fond de teint américain, un pinceau à joue noir, un petit miroir rond de la boutique du musée d’art contemporain offert par Marley, un fard à joue français, des crayons de couleurs, marron et gris anthracite pour bien regarder et rosé pour bien gouter, un tampon bio sans produits chimiques de chez Tom-Tom, du collyre et sérum physiologique en cas de drame, un tube de paw-paw biologique lui aussi, une crème pour les mains au doux nom d’alchemist et enfin une pince a épiler retrouvée la veille et ajoutée au tout. Cette trousse, c’est l’arme secrète, le kit premier secours en cas d’aléas météorologique du cœur. Elle sait que dans son petit corps, elle n’est jamais à l’abri d’un dérapage larmoyant et il faut pouvoir parer à toutes les éventualités, surtout celle d’un ouragan émotionnel. La voilà donc suréquipée pour l’imprévu et à présent en route. Parce que c’est un jour spécial, elle a mis une jupe et c’est seulement une fois en pleine rue qu’elle réalise l’étiquette avec le prix soldé dessus qui pend entre ses cuisses. Regard à gauche, regard à droite, sourire, main dans la jupe, tire un coup sec. C’était vraiment une bonne affaire pense-t-elle. Elle marche et sa jupe remonte à cause des collants qui glissent. Alors elle fait comme ces autres qu’elle déteste quand elles le font ; elle tire sur sa jupe pour la faire redescendre tout en réajustant ses lunettes de soleil, et ce tous les dix mètres. C’est pire que ces filles qui tirent l’élastique de leur culotte en marchant… La trousse ne peut rien pour ce genre d’incident logistique. Elle s’approche du distributeur de billet où un homme gesticule. Sa carte est coincée dans la fente, il la voit dit-il. Puis la dévisageant il demande : vous n’auriez pas une pince à épiler par hasard ? A croire qu’il y a des gens qui ont une tête à trimballer sur eux une pince à épiler; apparemment elle en fait partie. Oui elle en avait une, fraichement ajoutée au kit le matin même. Quelle synchronicité ! Cette idée l’exalte. Carte en main, alors que les remerciements d’usage se font elle lui dit: vous réalisez que je suis votre ange gardien aujourd’hui ? Il hausse un sourcil, et elle retient son geste pour lui redonner la pince.