Sur le T-shirt gris clair, les larmes ont chuté du menton à la poitrine et sont venues s’écraser comme des tâches foncées ; immanquables. Elle avait mis le maquillage, à part le mascara, presque pour faire exprès, par provocation aux yeux déjà miroirs. Un peu comme à l’annonce d’une tempête qu’on se sent le courage de défier en sortant sans parapluie ; cette pauvre foi qu’on a parfois. C’est la même qu’elle a eu quand elle a parfait son teint et ses lèvres alors que la boule gonflante dans sa gorge prenait déjà tout l’espace. Pourquoi se répandre devant sa propre glace quand on peut faire ça en toute discrétion la nuit dans un parc avec vue sur un pont. Assise sur un banc elle tient bien serré un carnet noir qui pourtant reste fermé. Ce n’est même pas pour se donner contenance, car lorsqu’on pleure invisible dans un lieu public, il n’y a plus de dignité si ce n’est au sens figuré. Alors elle laisse faire. Sans retenue, sans s’encourager non plus, elle pleure. Il n’y a rien à dire, alors c’est tant mieux que personne ne remarque, personne ne regarde, personne ne sait. C’est une douleur intérieure, vieille d’aussi loin que la mémoire veut bien aller, elle emporte tout sur son sillage pour ne laisser derrière elle qu’un portrait délavé au goût saler. La voisine dira en la voyant rentrée trempée: Est-ce ça va Mia ?
Larmes grises
Mahé, May 24th, 2014