Les vielles pies

Elles sont deux, assises face à face à la table d’à côté. Au menu, en dire le maximum en un minimum de temps sur toutes les autres pies que l’on connaît, avec qui on jacasse quand elles sont là, et sur qui on chie quand elle n’y sont pas. Cadence infernale de voix criardes, cela commente, cela critique, cela refait l’histoire en la bourrant de point de vues condescendants. De la fausse sympathie sous la laquelle la médisance est reine. Les cheveux grisâtres, le rouge à lèvre trop soutenu pour l’une, les bijoux qui clignotent pour l’autre, des manières de bourges pour les deux. Les commères, elles ricanent.

Je regarde sur  ma droite, sur la banquette entre nous est posé un magazine de très haute envergure : WHO. Ignorant si c’est celui du coffee shop ou de la détestable bourgeoise je le fais pivoter sur la banquette dans ma direction pour en lire les gros titres. Au programme culturel : la maternité du prince d’Angleterre, enfin celle de sa femme. Soudain, Madame la bourgeoise remarque mon geste, me lance un regard qui dit « si nous n’étions pas en public je te crèverais les yeux de mon bec pervers » et s’empare dudit magazine.

S’adressant à sa compère, toujours dans cette voix qui vous pousse au meurtre, elle lui annonce qu’elle va lui montrer sa page favorite ce qui a pour effet de rendre l’autre toute excitée. Les voilà donc comme deux gamines de soixante ans passées à commenter en détails la double page titrée : « Who got it right ? ». Le contenu : photos des people du moment avec commentaires journaleux sur l’accoutrement de ces dernières, et un jugement sans appel pour décider de qui est une fashionista confirmée et qui devrait allée se rhabiller.  Et elles se déchainent les deux mégères, l’une s’autorise même à dire d’un ton peu flatteur : « it’s very sixties ». J’y crois à peine.

Penchées au dessus de la table se rencontrant à mis chemin entre deux cafés, les voilà qui parlent tout fort sur le ton de la confidence. Faites comme si je n’étais pas là mais surtout regardez et écoutez moi ! Elles sont affligeantes. Comme le but est quand même d’impressionner l’autre, d’offrir le scoop le plus croustillant sur les hautes sphères de la société, elles ont dégainé l’iPhone et se montrent à présent leurs photos. Cela glousse dans la volière,  on dirait qu’elles ont quinze ans sauf qu’SKII ne peut plus rien pour elles. Et ces voix… Faites les taire !

Puis on touche le fond ; voilà que ces Mesdames parlent Tech : photo stream, iPad, update, iPhone. Pathétique. Je craque, rebouche le stylo, fini mon verre d’eau et m’en vais payer l’addition. Une heure plus tard j’attends le bus à côté d’un couple d’ivrognes en plein soleil sirotant leur bière et délirant sur Jean Paul et Jacques. Dans la catégorie oiseaux voyageurs, mieux vaut deux moineaux imbibés pour ne pas dire abîmés que deux vieilles pies blindées et pédantes à souhait.