Baptême de vie

L’apesanteur fait tomber les barrières au sol et pendant qu’elle écrit dans une langue étrangère, il lit par dessus son épaule. Une dizaine de minutes avant l’atterrissage quand il prononce doucement dans un fort accent : « Je parle un petit peu le français ».

Elle retient son geste, celui de cacher son écriture qu’elle regarde à présent comme une forteresse violée. S’écoulent alors quelques secondes, très brèves, juste le temps de décider quelle approche va être choisie. Finalement elle sourit, se tourne vers lui,  « Ah oui » ? dit elle sans vraiment attendre de réponse.

« Oui, j’ai été marié pendant trois ans à une française ».

Cela sonne comme s’il avait possédé un animal rare, pure race, ramené d’une terre lointaine. Elle acquiesce et d’un geste de tête que l’on incline l’invite à poursuivre.

Il poursuit. Il ne s ‘est toujours pas présenté. Elle remarque la douceur dans ses sons, le jaune dans ses yeux, le noir dans ses gencives.

Par quoi a-t-il commencé ? Tout est arrivé très vite ; d’un coup, il s’est mis à raconter. La caravane dans laquelle il vit, les six mois d’hôpital, le cancer agressif, sa femme qui n’a pas supporté et l’a quitté, son travail, sa maison et sa voiture qu’il a perdu. Il prononce tout cela sans émotions, sans l’ombre de la colère ou du ressentiment.

« Après cela la perception de la vie est différent ». Trois choses qu’il dit:
La première : l’argent nous rend pauvre intérieurement.
La seconde : le bonheur est dans l’instant présent.
La troisième ; elle ne l’a pas comprise alors elle a juste dit : « Vous avez l’air heureux ».

« Mon bonheur aujourd’hui il vient de là, pour la première fois, au lieu de là ». En premier  il a pointé vers son cœur, en second vers sa tête.

« Je ressens une paix intérieure que je n’ai jamais ressenti auparavant. Avant je croyais que s’aimer soi-même c’était quelque chose de narcissique, mais pour moi cela a été de m’accepter, l’acceptation de soi ».

Cet homme s’appelle Chris, il a soixante cinq ans, son cancer lui a tout pris mais l’a rendu à lui-même.

Il s’exprime tel un nomade ; il sait, il est allé, il a vu. Il est revenu des morts deux fois en une seule vie.

Ce jour là quand les roues ont touchés le tarmac, comme un papillon géant, les ailes autour de son cœur se sont ouvertes.